Voici un extrait du Journal de Marguerite de Saint-Marceaux, épouse du célèbre sculpteur René de Saint-Marceaux en novembre 1918
10 novembre 1918
Le Kaiser a abdiqué. On attend dans la fièvre les 101 coups de canon qui doivent annoncer la signature de l'armistice. Qu'ils viennent.
11 novembre 1918
Les voilà. Il est 10 h. Ce n'est plus une erreur, le canon tire, les cloches résonnent à toute volée. C'est la victoire ! La victoire admirable, inattendue dans cette complète beauté. En seize minutes Paris est pavoisé, les drapeaux étaient derrière chaque fenêtre. Les figures rayonnent, la joie déborde.
A déjeuner j'avais invité mon petit aveugle Euvin sans m'attendre aux événements. Je l'embrasse comme il convient d'embrasser un être qui a donné ses deux yeux pour la patrie. Georges arrive avec son ami Sergent qui est sous-secrétaire d'Etat aux Finances et qui va partir à la Chambre. Combien je l'envie. La séance sera unique de beauté et Clémenceau passera une heure de gloire inoubliable. A défaut de cette joie, Aubépin, Henriette Dumas, Marie Imbs et moi partons sur les boulevards pour voir la foule. Rue Royale on s'écrase, la foule est ivre de joie et si bon enfant, on s'embrasse, on s'aime les uns les autres. C'est vraiment le spectacle d'un peuple ayant supporté quatre années de torture qui renait à la vie. au bonheur de vivre. Les Américains perchés à 150 sur des camions militaires hurlent et sifflent. Des blessés mutilés, arrivent par petites bandes. On les salue, on pleure, on rit. Une affiche du Conseil municipal invite la population à se réjouir et à manifester sa joie. Elle s'en acquitte on ne peut mieux…
Dans la soirée avec Georges je descends place de l'Opéra où du haut d'une loggia Chenal chante la Marseillaise. La foule compacte, massée sur la place reprend en chœur le grand chant patriotique. "le jour de gloire est arrivé". Oui il est bien arrivé et le peuple de France le crie bien haut en gardant une retenue dans son triomphe. Les journées que nous vivons valent à elles seules toute une vie.